(enfin la vérité sur le sujet de l’heure en rédaction : l’empattement)
Il y a beaucoup de croyances que l’on considère comme véridiques, sans même les remettre en question. Pire encore, il nous arrive de les répandre, comme si c’était la bonne nouvelle. Malheureusement, plus une vérité devient banale, plus elle risque de perdurer. Et nous risquons d’y adhérer avec conviction. Depuis de nombreuses années, j’ai tenu pour acquis que l’utilisation des polices de caractère avec empattements convenait mieux aux documents imprimés et que l’absence d’empattement était préférable pour une lecture à l’écran. C’était une question de lisibilité. Il me semblait bien l’avoir entendu de plusieurs sources. Même lu sur Facebook. Source fiable, non?
Sur les liseuses
Néanmoins, j’avais noté, depuis l’arrivée des liseuses, la présence des empattements sur certains écrans. Ces mêmes empattements semblaient aussi s’être frayé un chemin jusqu’aux tablettes pour la majorité des journaux et des magazines. Plus récemment, les polices avec empattements apparaissent comme le choix le plus fréquent pour le corps des textes de la plupart des quotidiens en ligne. Alors, qu’en est-il du sacrosaint commandement du sans empattements pour l’écran, avec empattements pour l’imprimé?
L’origine des empattements
Avant de répondre à cette question, quasiment théologique, revenons sur la genèse même des empattements. En effet, d’où viennent-ils? Assez banalement, il s’agirait, à l’origine, du trait laissé par le pinceau ou la plume lorsque la main se lève après avoir tracé la lettre. Les Romains y auraient vu une façon d’accentuer les effets de lumière dans les gravures sur pierre ou pour délimiter de manière franche la fin du trait.

Une chose en amenant une autre, il est tentant de croire que la réutilisation des lettres avec empattements, dans les enluminures où dès les débuts de l’imprimerie, ne serait que la digne descendance des graveurs de pierre et des calligraphes. D’où probablement cette impression de style traditionnel ou classique des polices avec empattements, plutôt que moderne et simplifié des polices sans empattements.
Aide à la lisibilité?
Ainsi, si l’utilisation des empattements avait toujours aidé à la lecture, pourquoi ne pas le faire sur les écrans? C’est là que ça se complique. Au cours des années, plusieurs recherches visant à mesurer la lisibilité d’un texte à l’écran ou sur papier arrivaient à la conclusion que les empattements nuisaient à la lecture à l’écran. Le handicap principal provenant du fait que la définition de l’écran ne pouvait être aussi fine qu’à l’imprimé.
Malheureusement, plusieurs de ces études ont été réalisées pendant les années 90, époque où la définition des écrans était somme toute assez grossière. Depuis, la résolution de la plupart des écrans s’est hautement raffinée, ouvrant la porte à l’utilisation des polices avec empattements à l’écran.
Toutefois, certaines études récentes tendent à démontrer que l’absence d’empattement forcerait une lecture plus lente, et ainsi une meilleure compréhension du texte. De plus, ces textes sans empattements seraient plus aisés à lire pour les personnes souffrant de dyslexie.
Alors, avec ou sans empattements?
Si l’on résume, aujourd’hui, l’utilisation d’une police avec ou sans empattements n’est pas un commandement, mais plutôt un choix. Au risque de plagier Saint-Thomas, les croyances méritent peut-être d’être vues, avant d’être crues. Car, avec une foi aveugle en la science, il arrive d’être aveuglé même par des faits documentés. Qu’elle soit scientifiquement prouvée, ou soutenue par des études, la vérité n’est pas toujours absolue! Tout est relatif. Même lorsqu’on parle d’empattement.
La terre n’a-t-elle pas déjà été plate après tout?

